Mémoire, peur et biais cognitifs : comprendre les conflits à travers le prisme de notre mémoire
- Anne Pichon
- 7 juil.
- 4 min de lecture
Nous sommes en 2020, l'épidémie de Covid-19 progresse chaque jour en France. Le président de la République, Emmanuel Macron, déclare le 16 mars : « Nous sommes en guerre », répétant cette phrase à 16 reprises. Comme beaucoup, je suis sidérée. Il précise que « toute action du gouvernement et du parlement doit être tournée vers le combat contre ce virus ». Je ne comprends pas. Comment peut-on entrer en guerre contre un virus ? Que va faire le gouvernement ?
Mon cerveau, avide de compréhension, fonctionne à plein régime. Je me renseigne sur les virus, les pandémies, et décide de suivre l’action parlementaire et gouvernementale pour comprendre ce qui allait être fait. Je découvre que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, qui a déclaré la France en état d’urgence, a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi. Le 25 mars 2020, par ordonnance n° 2020-320, le gouvernement a simplifié les procédures d'implantation des stations radioélectriques sur le territoire national. Cette ordonnance a notamment fait disparaître l’obligation d’un dépôt préalable en mairie d’un dossier comprenant une simulation de l'exposition aux champs électromagnétiques générés par l’installation. Je cherche mais ne vois pas le lien entre la crise sanitaire et la nécessité de simplifier le déploiement de la 5G, surtout lorsqu’un grand nombre de personnes s’interrogent sur ses impacts sur la santé et l’environnement. Ma confiance dans l’action gouvernementale est ébranlée.
En novembre 2020, la campagne de vaccination est lancée. Le Président déclare que la vaccination n’est pas obligatoire. Je comprends donc que j’ai le choix. Pour des raisons personnelles, je décide de ne pas me faire vacciner. La pandémie s’intensifie, et la campagne de vaccination bat son plein. D’abord les personnes à risques, puis les seniors, viennent ensuite le tour des adultes et enfin des enfants. Je ne comprends toujours pas comment la vaccination peut nous sauver du virus. Si la vaccination est le seul moyen de lutter contre le Covid, pourquoi n’est-elle pas obligatoire ? Mon cerveau s’emballe. Lorsqu’il ne comprend pas, il choisit d’attendre. Je suis en bonne santé, je n’ai pas encore été touchée par le Covid, et j’ai confiance en mon immunité. Alors, je ne me fais pas vacciner.
En 2021, certains médecins, virologues et scientifiques commencent à s’interroger sur la vaccination et ses effets secondaires potentiels. Les médias leur collent alors l’étiquette de « complotistes ». Je suis en colère.
Puis, en janvier 2022, notre président déclare : « Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. »Je suis effondrée. Comment un Président peut-il déclarer vouloir « emmerder » les non-vaccinés alors que la vaccination n’est pas obligatoire ?
Aujourd’hui, lorsque l’on évoque cette période sombre, beaucoup de personnes qui se sont fait vacciner disent : « C’était obligatoire ». La réalité est pourtant différente. Légalement, la vaccination n’a pas été obligatoire, contrairement aux 11 vaccins rendus obligatoires pour les enfants depuis janvier 2018.
Pourquoi, alors que nous avions le choix, notre mémoire nous fait-elle croire que la vaccination Covid-19 était obligatoire ?
Nos peurs. La première raison, selon moi, réside dans la peur, cette émotion qui a guidé nos actions durant toute cette période. La peur de l’exclusion, la peur de mourir, la peur d’être responsable de la mort des autres. Cette peur était difficile à affronter, et encore plus à conscientiser. Il est bien plus facile de réécrire l’histoire et de se dire : « Si je me suis fait vacciner, c’était parce que je n’ai pas eu le choix. »
Nos biais cognitifs. La seconde raison est, selon moi, liée aux biais cognitifs qui ont pris le dessus. En période de crise, notre cerveau, pris par l'urgence et l'incertitude, cherche des réponses rapides et rassurantes. La pression sociale, les messages des autorités sanitaires et des médias ont créé un climat où il devenait difficile de maintenir une distance critique. Le biais de confirmation, par exemple, nous pousse à accepter les informations qui confirment nos croyances et à rejeter celles qui les contestent. Le biais de la majorité a aussi joué un rôle. En période de crise, l’opinion publique se façonne souvent autour des décisions des autorités et des comportements majoritaires. Si la majorité se fait vacciner, cela crée un effet de groupe qui pousse l’individu à suivre cette norme, par peur de se retrouver à l’écart. La pression sociale, même en l’absence d’obligation légale, a suffi à faire pencher la balance pour de nombreuses personnes.
Le dilemme entre liberté individuelle et responsabilité collective a traversé cette période avec une acuité particulière. Nous avons été confrontés à des choix difficiles, où chaque décision semblait avoir des implications lourdes.
Nous avons eu le choix, mais les mécanismes psychologiques et sociaux nous ont fait croire que la vaccination était obligatoire.
En médiation, on retrouve souvent les mêmes mécanismes. On oublie parfois ce qui s’est réellement passé car nos peurs et nos biais cognitifs mettent un filtre sur nos souvenirs. Notre mémoire nous joue alors des tours lorsque nous regardons le passé pour comprendre le conflit au présent.
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