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La médiation, un processus adapté au harcèlement moral


Le travail au sein d'une entreprise, quelle que soit sa taille (à l'exception des travailleurs indépendants), engendre des interactions quotidiennes avec les autres (collègues de travail, supérieurs, subordonnés, dirigeants). Ces interactions sont nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par l'entreprise. Cependant, elles peuvent parfois être source de conflits, de tensions et, dans certains cas, être perçues comme du harcèlement moral.




Mais qu'entend-on par harcèlement moral ?


Le terme "harcèlement" dérive du verbe "harceler", qui signifie "attaquer ou tourmenter quelqu'un sans répit". Selon une définition de Marie France Hirigoyen, psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute familiale, rapportée par Rémy Fontier dans un article intitulé "Le harcèlement moral" publié en 2003, « le harcèlement moral au travail se caractérise par toute conduite abusive (gestes, paroles, comportements, attitudes...) qui, par sa répétition ou sa systématisation, porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychique ou physique d'une personne, mettant en péril son emploi ou dégradant le climat de travail.


Le Conseil économique et social, dans un avis rendu en avril 2001 lors du projet de Loi de modernisation sociale, a contribué à l'intégration du harcèlement moral dans le Code du travail (Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002), en énonçant  :« Constitue un harcèlement moral au travail, tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d’une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel. » (page 63 de l’avis)


Cette définition éclaire sur ce que signifie "dégradation des conditions de travail » (formule retenue dans l’article L 1152-1 du Code du travail) , c'est-à-dire toute action visant à détériorer les conditions humaines, relationnelles, et matérielles au travail.


Selon le CES l'essence de la stratégie mise en œuvre par l’auteur consiste à dégrader les conditions de travail de la victime ou des victimes en agissant de manière variée sur les trois dimensions toujours présentes des relations de travail : le respect de la personne, la reconnaissance dans le collectif de travail, et l'impact sur les conditions matérielles de travail, qui peut profondément affecter la victime et sa perception de sa place dans l'entreprise ou le service.


Par ailleurs, le harcèlement moral se caractérise par des « agissements répétés ». Cela permet de ne pas confondre harcèlement moral au travail et conflit au travail ». (page 63 de l’avis du CES


Cette distinction entre harcèlement moral et conflit de travail est cruciale et permet de comprendre pourquoi la médiation apparaît comme une solution adaptée lorsqu'une victime se plaint de harcèlement moral.


Qu’est-ce qu’une médiation ? 


La Cour d'appel de Paris, dans un rapport intitulé « La promotion et l’encadrement des modes amiables de règlement des différends, en date du 5 mars 2021, écrit que la médiation « s'entend de tout processus volontaire, coopératif, structuré et confidentiel, reposant sur la responsabilité et l’autonomie de deux ou plusieurs parties qui, avec l'aide d'un ou de plusieurs tiers, le médiateur et éventuellement le co- médiateur (..) recherchent un accord contenant une solution mutuellement satisfaisante, en vue de la prévention ou de la résolution amiable de leur conflit « (page 52)


Quel est le rôle du médiateur ?


Selon le même rapport, la Cour d'appel précise que le médiateur a pour mission « d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose.  Le médiateur conduit le processus de médiation par des réunions plénières ou individuelles et facilite les échanges leur permettant de créer les conditions du dialogue, d’envisager l’ensemble des aspects de leur conflit pour trouver une solution à celui-ci au-delà du seul litige soumis au juge ou en prévenir la naissance. Il n’a aucun pouvoir de décision, d’expertise ou de conseil ». 


L'employeur face au harcèlement moral : que faire ?


De manière générale, l'employeur est responsable de la santé physique et psychique de ses salariés et doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement moral. Il doit réagir en cas de signalement de tels agissements, en menant une enquête et des investigations pour établir les faits et prendre les mesures appropriées. (Articles L 4121-1 et L 1152-4 du Code du travail)


Cette enquête interne peut aboutir à la reconnaissance des faits qu’un juge pourrait qualifier de harcèlement, conduisant à des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement de l’auteur pour faute grave avec mise à pied..


L’employeur doit réagir rapidement .


Il est ainsi reproché à un employeur qui avait eu connaissance de l'existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel reprochés au salarié, dès sa convocation le 18 juin 2004 devant le bureau de conciliation par la victime, de s’être borné à en dénier la réalité dans le cadre de l'instance prud'homale, en omettant d'effectuer les enquêtes et investigations qui lui auraient permis d'avoir (sans attendre l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à la victime) la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés à son directeur d’établissement et d’avoir attendu le jugement du conseil des prud'hommes de Marseille du 7 décembre 2005 ayant déclaré les faits de harcèlement moral et sexuel de la part de M. X... constitués à l'égard d'une salariée, pour le mettre à pied conservatoire et le licencié pour faute grave. Cette absence de réaction de l’employeur caractérisant une abstention fautive.


Les enquêtes et investigations. 


Le Code du travail ne dit rien sur la façon dont les enquêtes et investigations doivent être menées. L’article L 1154-1 précise seulement qu’il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et à la partie adverse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. 


Distinguer le harcèlement moral d'un simple conflit :


Le harcèlement moral est une question complexe. Comment le distinguer d’un simple conflit ? 

Marie France Hirigoyen (selon Rémy Fontier ) tient à différencier le harcèlement professionnel du harcèlement moral, soulignant par l'emploi du terme "moral" l'importance de l'humiliation et du manque de respect caractérisant ce dernier. Elle valorise les aspects positifs du conflit tout en précisant qu'une mauvaise gestion managériale peut exister sans qu'il y ait nécessairement harcèlement moral.

Le harcèlement moral est établi lorsque l'objectif, conscient ou inconscient, est de nuire psychologiquement à l'employé.



La médiation peut être un outil précieux pour démêler la situation et dégager des solutions constructives.


La médiation peut conformément à l'article L1152-6 du Code du travail  être mise en place à la demande de l’auteur ou de la victime du harcèlement. 


L’employeur a le devoir de l’organiser si un salarié le lui demande comme le rappelle un arrêt de la Cour d'appel de Versailles datant du 23 février 2012. Dans cette affaire, un salarié avait en vain demandé deux fois à la direction de l'entreprise d'organiser une médiation eu égard aux conséquences de ses mauvaises relations avec son supérieur hiérarchique. La Cour d’appel a estimé que l'employeur avait manqué gravement à ses obligations, justifiant la prise d'acte de la rupture du contrat à ses torts.


Dans tous les cas, l'employeur peut avoir intérêt à proposer une médiation. En effet, la médiation offre un cadre confidentiel dans lequel les parties peuvent s’exprimer librement.  Exposant chacune sa réalité (qu’est ce que l’autre a fait, qu’est ce que j’ai ressenti),victime et auteur  construisent une compréhension mutuelle du conflit. 


Selon la Cour d’appel de Paris (rapport visé ci-dessus) « Le rôle du médiateur est particulièrement attendu dans les conflits d’une certaine complexité, d’une certaine profondeur historique ou d’une certaine dimension affective qui nécessiteront le déploiement d’un processus communicationnel complet pour permettre d’établir et de rétablir un dialogue entre les parties (…) La fonction du médiateur consiste à « tenter de dégager les gens du problème, de les faire négocier sur les intérêts plutôt que sur les positions, de leur faire explorer le champ des possibles et découvrir des alternatives créatives. Il leur fera prendre conscience de leur meilleure solution de rechange.(..) » (page 50)


Au terme de la médiation, la victime peut réaliser que, malgré des comportements maladroits ou agressifs, la personne mise en cause n'avait pas l'intention de nuire. Elle peut prendre conscience que, rencontrant des difficultés dans sa vie (un divorce conflictuel), ce qui semblait normal dans sa relation avec l’auteur désigné est devenu insupportable. L'auteur peut réaliser que son mode de communication génère du stress et des tensions. Comme ce fut le cas pour un chef d'équipe qui reconnut lors d'une médiation que sa communication pouvait être perçue comme agressive, influencée par la pression exercée sur lui par ses propres supérieurs.


Par ailleurs, selon Rémy Foniter, « Marie France Hirigoyen veut distinguer les vrais harcelés d'autres faux harcelés. Les personnes qui se complaisent dans une position victimaire. Celles qui ne travaillent pas beaucoup. Les personnalités paranoïaques que l'on peut souvent distinguer des vraies victimes, car très procédurières, alors que les victimes doutent sans cesse. Des pervers (personnes qui aiment à faire le mal) qui utilisent cette accusation pour disqualifier quelqu’un. Il faut donc faire très attention. Ces faux harcelés sont nombreux. »


La médiation permet parfois de démasquer les « faux harcelés », comme cela fût le cas d'une employée qui, en médiation, admit sa propre tendance à l'agressivité, refusant de rendre des comptes à un supérieur qu'elle jugeait incompétent.


La médiation s'avère donc être une démarche adaptée pour traiter les cas de harcèlement moral, en offrant un espace pour clarifier les faits, rétablir le dialogue et élaborer des solutions équitables pour tous les acteurs concernés.



Quand saisir le médiateur : le plus rapidement possible.


Selon les situations, un cas de harcèlement peut être révélé à la direction par un courrier de la victime, souvent en arrêt maladie, adressé à son supérieur hiérarchique, à la direction des ressources humaines, ou au responsable RSE. Il peut aussi être signalé par un délégué du personnel ou un délégué syndical à qui la victime s'est confiée, ou même être révélé par des tiers sans que la victime intervienne directement.


Dans de nombreux cas, la direction, informée d'un cas de harcèlement, lance une enquête interne et interroge non seulement la victime et l'auteur présumé, mais aussi les collaborateurs qui auraient pu être témoins de comportements inappropriés.


Cette enquête interne peut aboutir à la reconnaissance des faits de harcèlement, conduisant au licenciement de l'auteur. Cependant, elle peut aussi conclure à une absence de harcèlement. Dans ce cas, une fois l'enquête terminée, la victime peut se sentir ignorée, et l'auteur présumé, injustement accusé.


Dans un cas de harcèlement dénoncé par un collaborateur, vis-à-vis de sa supérieure hiérarchique, l’enquête interne avait conclu au fait « qu’aucun élément, comportement, propos ou attitude ne mettent en évidence la matérialité des allégations de harcèlement ou de discrimination » et que « la supérieure hiérarchique n’avait commis aucune faute managériale ». Cependant, le courrier adressé à la supérieure à la fin de l'enquête mentionnait que « cette situation conflictuelle a pu engendrer une perception de menaces ou d'agressivité de part et d'autre ». Cette formulation a immédiatement suscité la réaction de la supérieure : « Cette phrase suggère que mon collaborateur et moi-même pourrions avoir été à la fois auteurs et victimes de menaces ou d'agressivité, ce que je trouve choquant compte tenu des faits réels et cela contraste avec le soutien que m'a exprimé ma hiérarchie ». Elle a également exprimé sa déception quant à l'absence de sanctions contre le collaborateur, malgré les critiques avérées à son égard. Le conflit s'est alors déplacé entre la supérieure hiérarchique et la direction.


Enfin, il arrive que les faits de harcèlement soient révélés après le départ ou la mutation de l'auteur désigné. Dans ces situations, la victime se retrouve face à une direction qui peut : nier l'existence du harcèlement, « nous n’avons jamais reçu la moindre alerte » ; en minimiser la portée « maintenant qu’il (l’auteur) n’est plus là, que voulez-vous que l’on fasse »  ;  renvoyer la victime et l'auteur dos à dos, avec des remarques du type : « M n'aurait pas dû agir ainsi, mais vous aviez également un comportement inapproprié ».


Ainsi plus la médiation intervient rapidement et plus il existe des chances de trouver une solution juste et pérenne pour la victime qui a besoin d’être entendue, pour l’auteur présumé qui doit pouvoir se défendre et pour l’employeur qui doit veiller à la sécurité de ses employés.


Rédigé par Anne Pichon - Médiateur - mats 2024



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