Peut-on être à la fois avocat et médiateur ?
- Anne Beau
- 23 juin
- 3 min de lecture

✅ Oui, juridiquement c’est possible
La loi n’interdit pas de cumuler les fonctions d’avocat et de médiateur.Un avocat médiateur peut donc exercer ces deux métiers, à condition de ne jamais endosser les deux rôles dans une même affaire.
Mais au-delà de la loi, une autre question se pose :
Est-il réellement possible, humainement, de passer d’une posture à l’autre sans confusion ?
⚖️ Deux postures, deux finalités
🔹 L’avocat : convaincre, défendre, gagner
En tant qu’avocate, je défendais les intérêts de mon client.J’entrais dans son histoire pour en extraire les meilleurs arguments en fait et en droit.Mes outils ?
➡️ Mes connaissances juridiques
➡️ Mon agilité d’esprit
➡️ Ma plume
➡️ Mon verbe
🔹 Le médiateur : accueillir, relier, faire émerger
En tant que médiatrice, je tente de sortir les personnes du conflit, de les amener à négocier sur leurs intérêts plutôt que leurs positions. Je ne cherche pas à dire qui a tort ou raison.
J'écoute, questionne, reformule.Face à moi : des personnes en souffrance, qu’il faut sécuriser et aider à se parler.
Mes outils sont différents :
➡️ L’écoute active
➡️ La neutralité bienveillante
➡️ Le questionnement ouvert
➡️ Et surtout : le cœur
🧠 Le piège du « biais de connaissance »
Après 30 ans d’expérience comme avocate, j’ai découvert à quel point il est difficile de laisser derrière soi ses réflexes professionnels.
On parle ici du biais de connaissance :Un mécanisme cognitif qui pousse à mobiliser son savoir (ici juridique), même quand ce n’est ni demandé, ni utile, ni juste dans le cadre de la médiation.
Je repérais trop vite les failles d’un raisonnement. Je glissais, parfois sans le vouloir, vers des solutions légalement correctes, au lieu de laisser émerger celles qui étaient acceptables pour les parties.
J’ai dû faire un travail sur moi, profond et durable, pour comprendre que :
En médiation, la solution n’a pas à être parfaite juridiquement, mais acceptable émotionnellement et souhaitée par les personnes concernées.
Une prise de conscience brutale
Je me souviens d’un appel qui a marqué un tournant.
Le téléphone sonne. Jacques est au bout du fil.
Jacques : « Marie et moi avons décidé de divorcer. On était d’accord sur tout, même sur la garde de Lina.Mais son avocate lui a conseillé de demander une prestation compensatoire, car elle n’a pas travaillé pendant six ans.Il n’en est pas question ! »
Moi : Je redeviens avocate… Je lui explique les risques juridiques, la probabilité d’une condamnation, l’intérêt de négocier.
Jacques : Il explose.« J’ai souffert. Marie ne m’a jamais laissé de place. Et maintenant je devrais payer ? Ce serait une double peine ! »
Je comprends mon erreur.
Je reprends ma posture de médiateur.
Je me tais. Je l’écoute vraiment. Il me demande :« Peux-tu appeler Marie pour voir si une discussion est possible ? »
💬 La conversation qui change tout
J’appelle Marie.
Moi :« Jacques m’a dit que vous alliez divorcer. C’est bien ça ? »
Marie :« Oui. »
Moi :« Vous êtes d’accord sur la garde et la pension ? »
Marie :« Oui… mais il refuse de me verser une prestation compensatoire. »
Nous parlons. Elle évoque ses raisons, ses craintes.
Moi :« As-tu demandé à Jacques pourquoi il refuse ? »
Marie :« Je crois… »
Moi :« Tu crois ? Donc tu n’es pas certaine. Jacques n’a pas de problème d’argent. Peut-être que son refus vient d’ailleurs. »
(Silence)
Marie :« J’ai peur de manquer d’argent… Mais pourquoi devrais-je renoncer à ce droit ? »
Moi :« Quelle hypothèse fais-tu pour penser que Jacques ne t’aiderait pas si tu avais vraiment besoin d’aide ? Parle-lui. Dis-lui ton besoin. Écoute ce qu’il a à dire. »
Quelques mois plus tard, Jacques et Marie ont divorcé par consentement mutuel. Marie a renoncé à demander la prestation compensatoire. Ils ont trouvé un accord.
❓ Peut-on vraiment cumuler les deux fonctions ?
Même après avoir quitté la robe depuis plus de 9 ans, je constate que ce biais de connaissance ressurgit parfois.
Alors, peut-on être avocat dans une affaire, et médiateur dans une autre ?
Les deux postures sont tellement éloignées, presque incompatibles dans l’instant. L’une défend, l’autre accueille. L’une tranche, l’autre relie.
Je ne dis pas que c’est impossible.
Mais je dis que cela demande une vigilance extrême… et parfois un vrai renoncement.
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